segunda-feira, 6 de setembro de 2010

Le concert


Jamais eu envie de balancer votre ordinateur par la fenêtre?
Ça vient tout juste de m´arriver. Figurez-vous que j´écris un texte superbe, vraiment, à propos de Rabat et, en appuyant sur la mauvaise touche, tout fout le camp. I-rré-cu-pérable! Comme j´vous l´dis... Reprenons. Mais si le ton n´y est pas, c´est pas de ma faute, vous êtes prévenus!
Donc, le printemps au Maroc. J´aime y plonger dès les premiers jours de mai, sinon les derniers d´avril. Les champs sont alors de vastes draps aux cent couleurs. Tiens, ça j´avais pas écrit. Pas mal, non? Le ciel est bleu comme jamais, les gens souriants, les p´tits oiseaux. Je suis arrivé la semaine dernière, invité pour un festival aux rythmes incertains, avec un groupe de Brésiliens que tout étonne. Une bonne cinquantaine. A l´époque, ils n´étaient pas encore très connus. Maintenant le ministère de la Culture a classé le groupe Zambiapunga au patrimoine immatériel national (au Brésil, s´entend). Malheureusement, une satanée bombe à Casablanca les a obligé à se produire dans un espace grand comme ma poche. Des lions en cage, dommage. Malgré la réceptivité du populo, ben c´était raté.
Dès que je peux m´échapper, à moi la solitude. Rien comme de revenir sur les traces de mon enfance! Je retrouve mes rues, mes jardins, mes senteurs.
Et, puisque nous y sommes, comment ne pas vous parler, une fois encore, de bouffe? Entre ma culture sibéro-gauloise et les fumets arabo-maghrébins, c´est la fête! Dans les rues de la médina, merguez, gâteaux mielleux et lait caillé. Alors! Mooonsieur du Plumet, on fait la grimace? On a peur des microbes? Ne vous en faites pas, les p´tites bêtes mangent pas les grosses. Je m´arrête aux comptoirs ambulants. On m´ouvre une moitié de kesra, y fourgue de beaux morceaux de barbaque arrosés de jus parfumé et à moi la bonne dent !
Un soir j´ai déniché un petit troquet où ils ne servaient que des escargots dans de grands bols et un morceau de pain. Des tout petits, baignant dans un jus sombre et léger. On les mangeait avec des cure-dents. Miséricorde! Mais ça emporte la gueule vos mollusques, tellement c´est piquant! A force d´insister, on s´y fait et on finit par en redemander. Suffit de nombriliser sur la panse, sans théoriser sur l´hygiène et les lendemains difficiles. A vrai dire, j´ai mangé sur les places de toutes les latitudes et jamais été malade. Malheureusement, au voyage suivant, dans le petit local carré, plus d´escargots mais des babouches. Rien n´est éternel.
Pourtant, ce soir, c´est d´estomac léger que je cavale dans les ruelles bien rangées de la médina. Maisons chaulées de blanc rehaussé de bleu, étroites lucarnes haut perchées. De belles arches aussi, souvent. En revenant des Oudaias, j´avais repéré le Dar Al Batoul et sa grande porte de côté. Je le retrouve sans problème. C´est d´ailleurs le seul endroit du quartier vers où se dirigent des gens pressés-sapés-parfumés. Des armoires à glace contrôlent l´entrée.
Je passe sans encombre grâce à ma carte du festival. Illusion de faire partie de la maison... Et quelle maison! C´est comme un hôtel particulier parisien, kif-kif la Maison-Opéra de la rue du Docteur Lancereaux à Paris (vous voyez le boulevard Haussmann?) version Maghreb. Avec en prime une fontaine au milieu du patio qui chuichuite aimablement. Sans détailler, je devine un maximum de deux cents sièges en comptant les divans veloutés et coussinés des salons aux portes grand ouvertes. Je m´assois près de la sortie, possibilité éventuelle de filer discrètement quand le premier baillement annoncera une inconvenante somnolence. L´homme apparait, un magnifique oud à la main, et avec lui le silence s´installe dans le petit palais. Je n´avais jamais entendu parler, sous mes cocotiers, de Haj Younès, mais la qualité de l´auditoire me fait immédiatement comprendre que je témoignerai ce soir d´un concert exceptionnel. Le musicien a une évidente liaison affective avec son instrument qu´il caresse et agace comme l´amant sa moitié. Les pièces sont longues et passent par d´étranges différences harmoniques et rythmiques. C´est à peine
si l´assistance ose respirer. Parfois comme une vague silencieuse fait onduler le patio, approuvant un passage particulièrement heureux. Je me perds dans les thèmes et au bout d´un moment, renonce à comprendre pour me laisser porter par le charme de la musique. Il devient vite évident qu´à l´extrême qualité du soliste correspond un public qui n´est pas ici par hasard. Il est probable que plusieurs mélomanes sont venus des villes avoisinantes. Nous sommes au maximum une dizaine d´Européens à pénétrer une culture que nos ancêtres les Gaulois ont longtemps méprisée et qui ne s´en porte pas plus mal, peut-être même mieux. Non, l´ennui n´apparaitra pas, mais plutôt un état second, proche de l´extase. Oh temps, suspends ton vol...
Je rentrerai, toujours à pied, jusqu´à l´hôtel Balima, heureux d´être seul, pour prolonger en silence l´enchantement qui continuera de m´envelopper et me protéger pendant la longue promenade frileuse dans la ville endormie.

Dimitri Ganzelevitch
Salvador, 10 Août 2010

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