sexta-feira, 5 de agosto de 2011

Annette


Mais asseyez-vous donc... Vous prendrez bien une tasse de thè? Citron ou lait? Un nuage?
Chaque fois que ces braves grenouilles de bénitier avaient l´idée saugrenue de frapper à sa porte pour prêcher la Bonne Parole, c´était la même comédie.  Annette avait du être curé, sinon évêque, dans une vie antérieure. Elle jonglait avec les Testaments, les Apôtres et leurs Évangiles. Je la soupçonnais de guetter derrière sa fenêtre, surtout lorsqu´elle s´en fut vivre chez sa fille á Socco los Bueyes, la venue de ces infortunées. Autour de home made scones et d´une théière recouverte d´un capuchon de laine crochetée, á coups de citations, la bataille commençait. N´entrons pas dans les escarmouches et les guettapens; il me faudrait moi-même dominer le sujet. J´avoue en être aujourd´hui incapable, malgré mon enfance de lectures quotidiennes de la Bible. Aprés deux longues heures d´en-vérité-je-vous-le-dis, ces dames se retiraient, estomac plein, cheveu défait et lèvres tirant vers le bas. Ma grand´mère, contre la porte refermée, riait d´un rire sarcastique et, disons-le sans détour, diabolique. Encore une partie de gagnée!

De père anglais et mère suissesse, née à Paris dans les beaux quartiers, c´était une bûcheuse. Si elle entreprenait une nouvelle tâche, rien ne pouvait plus l´empêcher d´en venir á bout. Pendant des années elle tapa sur des douzaines de pianos jusqu´á obtenir le premier prix du Conservatoire de Paris. Le clavier, d´ailleurs, a ponctué sa vie. C´est grãce á lui qu´elle a rencontré Yasha, c´est grâce à lui qu´elle tenait salon á Moujaïdine et c´est grâce à lui – en plus modeste, sur un harmonium   – qu´elle élevait les âmes le dimanche au temple protestant de Tanger. Je me souviens trés bien du piano à queue trônant dans le salon, couvert d´un immense châle indien bordeaux brodé de rouge. Offert, le châle, par la reine Victoria, lors de sa visite officielle à Paris (1855) et logée au même Hotel d´Angleterre, of course,  en apprenant la naissance d´Edward Moore, fils du poête Thomas Moore et père d´Annette. Longtemps ce royal tissu, sur lequel vieillissaient, un peu plus, cinq ou six céramiques romaines ramassées á Pompei par Caroline Augier, mère d´Annette, attira les exclamations polies des visiteurs. Il faut dire que, vers 1870, l´arquéologie n´était guère pointilleuse. On y allait, on creusait du bout du pied et on mettait ça dans son sac. Le châle bouffé par les mites, les poteries données. Une seule, bien modeste, a traversé l´Atlantique et l´équateur. Venez me voir, je vous la montrerai.

Soucieuse de son apparence, ma grand´mère s´habilla de blanc pendant prés de soixante ans. Á tel point qu´on la nommait “La dama de blanco”. La mort de son fils Oleg en 41, mort stupide et sans gloire dans un accident de camion militaire, engagé dans la légion étrangère – ils étaient apatrides, ne l´oubliez pas – lui fit teindre tous ses vêtements. Elle ne se montrerait plus jamais que de noir vêtue. Mais le noir sied aux dames quand on lui ajoute quelques savantes draperies, broches, foulards et surtout rehaussé de ces étonnants chapeaux et turbans dont elle avait le secret. Aux mains, des mitaines dentelées dissimulaient les doigts désormais torturées d´arthrite. Ah! J´allais oublier une parure á la mode au début du siècle: un collier de chien de velours noir auquel était épinglé un camaïeu cerclé d´or.

Mais revenons aux beaux jours de 1915. Yasha ouvre la route de Tanger á Arbaoua. Pas facile, la région est infestée de pilleurs. Une nuit l´épouse fait un drôle de rêve et, au saut du lit, demande au père de ses enfants de ne pas aller travailler. Comme de coutume, El ruso capitule á cette bizarre prière. Bien lui en prend, car ce même jour, le maitre d´oeuvres et quelques travailleurs seront assassinés, lors d´une razzia, par le terrifiant pirate Raissouni, le même qui, douze ans avant, avait sequestré Walter Harris. Non, le Maroc ne s´était pas encore ouvert au tourisme!
L´âge venant, le dit-pirate, devenu riche, se rangeat des sales coups, reçut le titre de pacha, construisit um superbe palais á Azilah, aujoud´hui ouvert aux visiteurs et mourut heureux avec beaucoup, beaucoup d´enfants. Si vous tapez sur Google, vous pourrez même admirer le physique avantageux d´un sieur Omar Raissouni, en três petite tenue, culturiste convaincu et sûrement moins dangereux que l´ancêtre. Mais le pirate devait avoir d´autres armes, plus secrètes et convaincantes, puisqu´une anglaise qu´il avait sequestrée, en tomba amoureuse. Comme vous l´avez deviné, Hollywood n´a pas raté l´occasion de tourner un film sur la romance, Candice Bergen dans le rôle de la donzelle. Alors lá, y a vraiment de quoi calmer les ardeurs guerrières les plus impétueuses!

Maintenant, pour la beauté de l´image, car je n´en ai aucune preuve, plaçons au superbe Gran Teatro Cervantes, inauguré en 1913 par le gouvernement espagnol, le concert de ce jeune pianiste franco-suisse. Nous sommes peu avant la Première Guerre. Mes grands-parents sont assis, comme vous le pensez, au premier rang. Le programme a été élaboré sur mesure, semble-t-il, pour l´enchantement de l´anglaise et du russe: Chopin, bien sûr, Schumann et Liszt. C´est pas n´importe qui qui peut jouer du Liszt. Faut avoir la technique…
Le musicien arrive, s´assoit, débute par un nocturne. Peu avant la fin de la pièce, ma grand´mère commence á manifester une discrête agitation, qui augmentera pendant le concert au point de gêner son mari. Aplaudissements, courbettes, bis, rebis et rerebis. On en veut pour notre argent. Le pianiste est vraiment remarquable. Annette se précipite vers lui. Vous avez été élève de Raul Pugno, n´est-ce pas? Oui Madame, comment l´avez-vous deviné? Parce que moi aussi j´ai été son élève et j´ai tout de suíte reconnu sa marque! Surprise, longs bavardages et, je suppose, souper en groupe. Á l´hotel Continental, peut-être? Mais lá, j´invente encore, sans pudeur. Passons. Petit complément d´information: Le pianiste n´était rien de moins qu´Alfred Cortot, qui deviendrait sous peu un des plus fameux interprêtes du XXième siècle.

On ne se souvient des grands´mères que três vieilles et toutes frippées. Je n´ai pas connu la dama de blanco, mais je me souviens fort bien de la fragile dame en noir et des longues conversations que son esprit agile savait entretenir. Elle ne manquait pas d´esprit, d´ailleurs pas toujours si charitable pour quelqu´un enseignant le cathéchisme á l´école presbitériennne du dimanche. Elle me racontait les premières années dans ce pays si étrange pour une bourgeoise parisienne imbue de références sociales. En nous promenant le long du Boulevard Pasteur, Annette décrivait comment elle et les enfants en bas-âge dévalaient une bonne partie de la côte en roulant sur les dunes, arrivant à la plage ensablés comme des croquettes. Elle en riait encore. Lorsque les finances étaient au beau fixe, nous allions á la pâtisserie Porte, collée á l´hotel Minzah. Je me régalais de meringues à la Chantilly et de pommes de terre, biscuit de Savoie au rhum enrobé dans une pâte d´amandes saupoudrée de chocolat. Et c´est á la bouffe que vous voyez comme le temps passe et comme les choses changent. Trop à l´étroit, Porte déménageat pour occuper un grand espace au rez-de-chaussée d´un immeuble neuf. La qualité se maintint pendant des années, mais, les fondateurs décédés, les héritiers ne sûrent en conserver l´esprit d´origine. Peu á peu, aprés l´Indépendance, Porte se transforma en discret lieu de rendez-vous de messieurs bien habillés et de trop maquillées jolies dames. La qualité des pâtisseries s´en ressentit, les belles vitrines s´empoussiérèrent, la bonne société ne s´y rencontrait plus et un jour les rideaux de fer furent baissés á jamais. Tanger perdait ainsi une de ses références…

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