domingo, 21 de agosto de 2011

Mes enfances

Approchez-vous de la maison et jetez un coup d´œil par la fenêtre sans peur d´être indiscret. Quel joli tableau familial! Ma mère, près de l´autre fenêtre, celle qui donne sur le jardin, lit un gros livre en papier bible. L´œuvre complète de Dostoiewski (avec ces noms bizarres on a envie de mettre des Y, W et K partout). Me voici donc, adorable garçonnet et élève appliqué, tirant la langue sur un texte latin avec plein de dictionnaires autour de moi. Le chat blanc joue avec une pelote de laine blanche. Plus loin, baignée dans la lumière de cette fin de journée printanière, ma sœur ramasse les pommes qui tombent toujours trop nombreuses du vieil arbre où pend une balançoire. Chaque année c´est la même chose. Mais qu´est-ce qu´on va faire de tant  de pommes? Cerisiers roses et pommiers blancs, tous nos voisins en ont! Un pigeon roucoule sur le toit.
N´est-ce pas un charmant tableau? Quelle musique choisiriez-vous pour le compléter? Un pianotage de Debussy? Non, s´il-vous-plait, surtout pas les Quatre Saisons… Plutôt un aria de Glück ou même une bonne vieille rengaine de Charles Trenet. Y a d´la joie! Mon père, tout encravaté, revient du bureau. Que fait-il? Les petits garçons bien élevés ne posent pas de questions. Des histoires de cargos, d´exportation. Il pose sa serviette sur la table, embrasse son épouse et me tapote la joue. “On étudie bien, fiston?”

Ne perdez pas votre temps. Je n´ai jamais eu une enfance aussi carte postale et  stupidement conventionnelle. Quand mes parents se sont séparés, je marchais à peine. Pas de pommiers mais des orangers et des palmiers-dattiers, why not? Et, pour moi, les percussions des musiciens Gnaouas tinrent lieu de flûte baroque. Pendant les seize premières années de ma vie, je fus un exécrable élève, un cancre indiscipliné, turbulent jusqu´à la goujaterie. N´en doutez pas, si c´était aujourd´hui, j´aurais été un skinhead, un iroquois, un roule-des-mécaniques. Je détestais l´école, abominais les professeurs, ne rêvais que de sécher les cours. Histoire, Géographie, Latin... quel cauchemar! Par contre rédaction, littérature, dessin, musique, là oui, j´prenais mon pied.  A partir d´un certain moment, ça n´était plus possible. Aucune école ne pourrait jamais contenir tout ce que j´attendais de l´univers. De l´École Grimonet à Rabat, à deux pas de chez nous, au lycée Gouraud, à peine plus loin. Puis à 100 kilomètres, l´école Audissou, à l´ombre de la cathédrale de Casablanca. Plus loin encore: au lycée français de Madrid, où je deviens un presqu´adulte, mais que je ne fréquente que lorsque je n´ai rien de mieux à faire. Je préfère ramer dans les canaux du palais d´Aranjuez ou trainer à Tolède. El entierro del Conde de Orgaz pour moi tout seul. El Greco est mon cousin.
Encore plus haut: Notre-Dame de Bétharram, à quelques minutes de Pau. Non, je n´y suis pas allé, ni ai été victime de pédophiles en soutane. Au fond, ça aurait pu être drôle… Portaient-ils des caleçons ou pas, comment dit-on, écossais? Redescendons    sur la carte, plus bas, vers la gauche, juste au bord de la mer. Une dernière tentative     au lycée français de Lisbonne. Ah! Ça suffit, les lycées! J´en ai rien à foutre. Finis les cours de maths! Plus d´équations, de géométrie dans l´espace. Vous voyez, même les termes m´en sont inconnus.

Envoyez-moi à l´École d´Art Paul Colin, à Paris. Je commençais donc à vivre ma vie. J´ai pour modèle nu un vieux monsieur qui posa pour le Baiser de Rodin. Une paille... Mais Paris sous la pluie me lasse et m´ennuie. Oui, je suis un des tout premiers à découvrir Barbara à l´Écluse. Et Dufilho. Je vais à Londres. Central School of Arts        and Crafts. Malheureusement, Lucian Freud est passé avant moi et a raflé tout le génie encore disponible. Je ne produirai jamais que des croûtes. En exposerai une vingtaine à la Librairie des Colonnes, à Tanger. Les sœurs Génofi ... sont trop bonnes. Ne me jugez pas mal. C´est vrai, mon éducation est claudicante, mais je me suis tout de même construit une université idéale. La lecture, d´abord. Après la Bible tangéroise, Les trois mousquetaires, Le Vicomte de Bragelonne, Les Pieds Nickelés, La famille Fenouillard – j en ris zencore – Les dialogues des Carmélites, L´Express, Francis James, Eça de Queiroz, Apollinaire, les Russes, d´Anna à La mouette, Arts et Spectacles, Dickens, Points de Vue, Simone de Beauvoir. Je ne vous ferai pas la liste des spectacles.
Je réussissais à en voir 370 par an, entre cinoche – Ah! Les beaux après-midis de la rue d´Ulm - j´y ai vu Vicente Minelli en chair, os, lunettes et complet - six heures de Parsifal, la Callas dans “La Traviatta”, Boris Godounov, Casals, Victoria de los Angeles, Martha Graham, les conférences sur tout et n´importe quoi, depuis “Mon dernier voyage en Egypte” jusqu´à Fernando Pessoa et Almada Negreiros. N´abordons même pas les musées, cathédrales manuelines et cloîtres romans.
Non je n´ai guère suivi les parcours qui rassurent maman. J´ai préféré des chemins de traverse, des excursions en pays imaginaires, j´ai misé sur les nuages noirs et les brouillards rouges.
Et, comme Zazie, j´ai vécu. Intensément.



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